Je fixe leurs gueules figées sur le papier en un sourire censé contraster avec le côté glacé du matériau. Les bâtiments au vieux charme et la verdure derrière eux, les mots-promesses qui dansent autour de leurs visages, et jouent leur rôle sournois. Parce que je suis là, immobilisée dans le couloir, à fixer ce fichu poster si fort que je pourrais presque m'y croire, dans une vie pareille.
Presque seulement, heureusement. Je n’en suis pas encore au point de me prendre dans les dents leur hameçon miroitant, d’où pendouille un lombric-allégorie du combo bonheur-facilité-succès-sécurité, bref, le grand paquet moderne. Terrifiant, si vous voulez mon avis.
C'est pas que la vie d'étudiant en soi ce soit pas tentant, ça offre sans doute même un peu de bon temps -non, je n'idéalise pas du tout-, et qui sait, au détour d'une page ou deux, il se pourrait que j'apprenne quelque chose. Et puis ça fait bien, forcément, pour la paperasse, pour les parents.
Ils n'envisagent pas grand chose d'autre de toute façon, les parents. C'est tellement évident que c'est le chemin à prendre, comme il se doit. On grandit avec l'idée omniprésente qu'on va traverser le collège, le lycée, survivre au bac, et puis se retrouver sur les bancs d'une quelconque université, parce que c'est à ça que nous prépare toute notre éducation, ajoutée aux fondations de la société.
Ca, et puis se précipiter dans la "vie active", comme ils disent -parce que c'est bien connu, si on ne bosse pas, on ne fout rien, forcément. Galérer un peu, finalement décrocher le CDI qui scintille à l'horizon. Dénicher la "bonne personne" -parce que les humains d'après eux, c'est comme les paires de chaussettes, il y en a toujours deux assortis... faut croire que des troupeaux de complémentaires disparaissent juste mystérieusement dans le grand sécheur de la vie, ou que parfois, le brouillard du sommeil dans les yeux nous empêche d'établir la correspondance correctement. Et puis la baraque, les gosses, les voitures, et le chien qui vont avec, bien sûr. Sans mentionner la bonne paye, ça va de soi.
Tenir le coup, en rêvant de vacances exotiques à venir et de retraite, où on pourra enfin profiter en paix, exister à plein temps -si les rhumatismes coopèrent-, s'acheter la jolie petite maison à la campagne dont on avait toujours rêvée -mais devoir laisser les araignées tisser sur les vélos dans le garage. Se dire qu'elle n'est pas tellement à plaindre, cette vie, et puis qu'on a quand même pas mal réussi du tout, que demander de plus pour être heureux? Se le répéter façon Coué pendant les années coincé derrière un bureau -dans une pièce avec fenêtre, pour les chanceux-, se le répéter tandis qu'Alzheimer gagne du terrain.
(Et tout cela dans le meilleur des cas.)
Mais je ne veux surtout, surtout pas me réveiller un jour dans le cauchemar du rêve populaire. Pas plus que me réveiller un jour, et m'apercevoir que demain, c'était hier.
J'ai trouvé des accents ♪
Commentaires :
Re:
(Je me rejouis pas trop vite des retrouvailles avec les accents, connaissant ma paresse chronique ils risquent de se (re)retrouver abandonnes rapidement)
J'adore cette phrase "Dénicher la "bonne personne" -parce que les humains d'après eux, c'est comme les paires de chaussettes, il y en a toujours deux assortis..." c'est tellement vrai =))
Re:
C'est vrai que c'est ce que les gens affirment, ou que c'est reellement comme ca (ou les deux, peut-etre)?
En tous cas tu as le mot incisif qui ouvre la réflexion, c'est un plaisir de s'y laisser prendre !
Re:
Merci du compliment, et j'ai beaucoup aimé ton commentaire!
LiliLou