Je suis jamais revenue avec autant non plus, dans la tête, les yeux et les oreilles, dans le cœur et les poumons, sans doute même jusqu'au bout des doigts (là où l'écriture frémit).
D'ailleurs, y a cette question très stupide qui m'a sautée dessus quand je suis sortie de l'auberge de jeunesse, au moment précis où je passais la porte et attaquais les marches pour rejoindre le trottoir. "Est-ce que je suis la même personne que quand j'ai franchis cette porte dans l'autre sens, quatre jours plus tôt?" Évidemment, non. Le mouvement perpétuel, c'est un truc universel, et ça n'épargne pas l'individualité (Encore heureux, sinon qu'est-ce qu'on se ferait chier. Y a pas que se découvrir soi et les autres dans la vie, y a aussi redécouvrir tout ça à chaque instant, et c'est même plus important).
Mais là, le changement, il était bien imprimé, jusqu'au bout des doigts de ma personnalité. Parce que mine de rien, s'échapper cinq jours en terre étrangère sans repère humain, ça fait voyager encore plus loin.
Avec Amsterdam, ça n'a pas été un coup de foudre instantané, c'était plutôt une conquête progressive et subtile, un charme qui s'instille en délicatesse pour mieux s'accrocher. Il y a tellement à aimer là-bas, la beauté de la ville aux premiers rayons du soleil, l'esprit ouvert à l'extrême (même que c'en est parfois dérangeant, par exemple les madames en vitrine), l'atmosphère d'ensemble à base de mélange incroyable.
J'ai rencontré des tas de gens, des Espagnols, des Suédois, des Anglais, des Néerlandais, des Irlandais, des Suisses, des Grecs, des Français, un Brésilien, une Israélienne, un Italien, un Argentin, un Polonais, un Ouzbek, ... Des touristes, des natifs, des immigrés, des indécis, ...
Alors, forcément, question échange, ça a été quelque chose (même avec ceux avec qui j'avais pas de langue en commun).
J(e dés)organisais mes journées comme ça me prenait, et le soir, je revenais me poser, discuter, fumer, rire, au bar de l'auberge.
Tous les avantages d'être en solitaire sans la solitude.
Je pouvais m'émouvoir et m'attarder comme bon me semblait devant des toiles de Van Gogh, un joli canal ou une exposition de photos, manger quand mon estomac grognait et suivre mes pieds là où ils me menaient, et puis juste retrouver des gens quand la nuit se faisait dense. Pour s'aventurer à une heure du matin dans une salle de billard à la déco psychédélico-Doors, par exemple.
C'était pas seulement de l'émerveillement, de la découverte, du dépaysement et du partage. C'était aussi du bonheur, pur.
"Le soleil s'enlise inexorablement dans la mer. Il a beau s'agripper aux nuages, il ne parvient pas à empêcher la dégringolade. On voit bien qu'il déteste se prêter à cet exercice de mise en abîme, mais il n'y peut rien. Toute chose en ce monde a une fin et aucun règne n'échappe au déclin."
Ça faisait longtemps, j'ai attendu le dernier moment, et puis j'ai passé l'après-midi entière à attaquer frénétiquement le clavier, sans rien faire d'autre à part descendre un paquet entier de chewing-gums (mon addiction
D'un autre côté, y a ce type, ce type qui me parle devant une bière, de voyages, de redécouvrir Paris, d'une soirée face à la mer, de tomber amoureux d'une ville. Ce type qu'est franchement bien, mais rien. Juste rien.
Les gens ne comprennent pas mes envies de me balader ou de voyager seule. C'est pas que j'aime pas les gens ou qu'y aurait personne pour me suivre. Juste, je suis bien comme ça. J'apprécie les choses différemment sans une présence connue. Et peut-être aussi que je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui se plairait autant dans mes errances, mes improvisations, mes pauses et mes paysages. (Enfin, pas vraiment les miens, ceux du moment)
Et puis The Boy Least Likely To
J'écrase du bout du doigt les cylindres de cendre dans mon porte-encens qui ne désemplit pas. Il y a cette voix douce qui résonne tout bas dans ma tête et dans ma chambre, il y a la pluie qui chatouille mon velux, et je m'en fous. Et c'est nouveau, cette sérénité contre les éléments. Qui m'amène jusqu'à m'échouer dans Paris, comme la baleine cassée de mon parapluie, pieds nus et le sourire qui déborde sur tout le visage. Qui me mène à le refaire, chaque fois que l'envie m'en prend.
Comme le reste, parce que c'est ce que j'apprends, à tout petits mais délicieux pas, suivre le désir, écouter l'impulsion. L'idée stupide ou ridicule, l'idée un peu folle, l'idée charmante, l'idée qui devient un geste. C'est tellement infime dans le temps, ce passage de la pensée à l'acte, mais dans l'espace -celui dans mon crâne-, c'est un fossé énorme. Quand il s'agit de choses vraies.
Et du vrai, du vivant, j'en ai eu, j'en ai créé, j'en ai chassé beaucoup ces derniers temps. Plus que je ne l'ai jamais fait. C'est pas que j'avais pas la possibilité, juste que je ne lui insufflais rien, à ma liberté. Heureusement que j'ai réalisé, avant d'en prendre davantage, que ça ne servirait à rien, si je ne profitais pas de celle que j'avais déjà.
Puis que j'ai aussi compris que, avant de chercher le dépaysement ailleurs, il faut déjà le trouver en soi. Et dans le quotidien qui nous entoure. Se fabriquer une nouvelle paire d'yeux à poser sur le connu, pour y débusquer une perspective étrangère, ou même y découvrir des pans entiers qui nous avaient jusque là échappé.
Ça aide forcément de ne pas avoir été là pendant un an, mais ça va au-delà de ça quand j'essaye de regarder les paysages et les gens d'un angle neuf, comme un photographe en quête d'un nouveau cadrage. Et j'ai pas à me pousser beaucoup, ça devient presque une sorte d'instinct. Pas seulement ne plus laisser de zones d'ombre, savourer aussi -surtout, peut-être- la rencontre avec ces parcelles inconnues.
Paris, par exemple. J'ai toujours vécu juste à côté, et évidemment je m'y suis déjà baladée, évidemment que j'en ai déjà profité. Pourtant je connais au fond à peine la capitale, et je n'ai jamais été véritablement à sa rencontre auparavant.
J'aurais
presque des airs de touriste à écarquiller comme ça le cœur en
arpentant les rues encore et encore, sauf que c'est bien plus que ça.
Je ne me promène même pas, je m'imprègne,
j'absorbe la ville, les grands boulevards, les parcs, les petits rues
piétonnes, les marchés, l'atmosphère particulière, les artistes
de rue, les monuments, la Seine, les immeubles, les odeurs, les gens,
les quais, le fourmillement de la vie, les aspects laids aussi. Et
j'en ressors différente, quelque part.
Ça ne sert à rien de
partir loin quand je n'ai pas encore appris tout ce qui en vaut la
peine par ici.
Depuis Septembre, depuis que je tends à habiter l'instant, il y a eu tellement de moments magiques. Chacun à sa façon propre.
Par exemple.
La nuit seule dans la forêt, perchée dans un arbre, un rêve de gamine, à se sentir terriblement vivante, en dépit du froid et du manque de sommeil.
La rencontre avec l'homme qui ne pouvait pas entendre le silence, qui a joué de la guitare et chanté, rien que pour mes oreilles, au bord de la Seine. Et parfois, elle dérapait un peu sa voix, mais c'était encore plus beau, tellement il était sincère.
La balade sur les rails désaffectés avec une poignée de gamins inconnus et morts de trouille, le point rouge de la cigarette dans le tunnel obscur, le retour surprenant dans la ville, les adieux à peine formulés, la joie de l'aventure.
Le cimetière des bennes, la vue juchée sur la plus haute, vacillant sous la rouille, tandis que d'autres disparaissaient sous la végétation et les inscriptions. Les mots griffonnés fébrilement dans tous les sens sur un ticket de caisse.
Toutes
les rues prises au hasard, à cause d'un air séduisant ou d'un nom
poétique, ou même sans raison, tous les pas alignés sur des coups
de tête, tous les jolis horizons heurtés à mes errances, toutes les existences frôlées.
Par exemple.
Pourtant, j'ai toujours été si loin de l'improvisation. C'est dans ma nature de planifier, organiser, prévoir les éventualités, c'en est même compulsif. Ou c'était dans ma nature, je ne sais plus. Parce que je change, beaucoup -pas que de cet aspect là d'ailleurs-, et ça me rassure. J'avais très peur de ne jamais pouvoir surmonter mes tendances innées pour me permettre les élans piégés derrière.
Ma vie elle est jolie en ce moment, et c'est encore mieux que belle, parce que ça dépasse le simple bonheur. Y a la poésie et les vibrations en plus. Y a la signification. Y a toutes ces choses qui me hantent que j'effleure enfin. (Et même si c'est pas ce que je poursuis, être heureuse au passage, ça fait quand même du bien.)
L'immense incertitude du futur ça ne m'inquiète même plus, au contraire en fait, ça me réjouit de ne pas savoir. Parce que tout est possible.
Quand les gens me parlent de trouver sa voie, je pense à chercher ma voix. J'ai beau me disperser comme d'habitude dans des textes en pagaille, c'est pas grave, parce que c'est déjà quelque chose. Déjà semer des bouts de soi, et semer des bouts de soi, c'est créer. Et puis je suis tombée par coïncidence sur ces hésitations d'un de mes auteurs préférés, et malgré tout son succès et tous ses livres, il me semble y retrouver mes propres vacillements.
Personne n'a encore vu, mais si on me demande, je me serai pris un poteau. Évidemment.
Je m'en fous d'avoir mal, c'est juste un très mauvais pense-bête.
Le pire, c'est que j'ai toujours du mal à y croire, j'ai cette foutue naïveté envers l'humanité, et leurs apparences adorables. Je me demande si c'est juste celui-là, ou juste l'alcool sur celui-là, j'en sais rien, je me rappelle juste mes poings qui cognaient contre lui, quand j'ai percuté que le temps des mots était passé. Et la douleur que je savais être là, sur ma peau, mais que je sentais à peine.
En plus, aujourd'hui ça faisait trois ans. Trois ans sans toi. Trois ans sans toi, dans ce monde. C'est triste, mais c'est qu'il a eu le temps de se reconstruire depuis.
(C'est drôle quand même, parce que dans le train à l'aller, je me disais justement que j'essayais même pas, mais que j'étais heureuse.)
(Et puis aussi, j'attendais pour écrire, parce que j'arrivais pas à tout condenser -c'qui est plutôt bien, c'est plus fort, le pas condensable-, mais je m'attendais pas à écrire pour un truc comme ça. D'ailleurs, ça aussi c'est sacrément idiot, mais il fallait bien que je plaque les sentiments quelque part cette fois.)
C'est étrange, d'exister en décalage, à ce rythme différent des autres. Ou plutôt dans une absence de rythme, une liberté qui se mord la queue. C'est pas que ça me gêne de voir le monde démarrer sans moi, c'est juste que je n'arrive pas à trouver ma trajectoire, ni même simplement le pas suivant. Et j'ai pas la moindre idée de comment commencer à chercher. Je dérobe mes jours à la Grande Course universelle, je lui arrache un espèce de sursis, et ça ne me plaît pas vraiment. C'est autre chose que je poursuis.
Mais il y a des minis-contraintes qui s'opposent aux grands projets, et même écrire, surtout écrire, ça coince, j'en ai le clavier qui grince. C'est que j'ai tellement d'histoires qui se bousculent dans la tête (toute une foule de personnages qui réclament à grands cris un bout de vie) que je n'arrive pas à me fixer à en conduire une seule de l'éclosion à la maturité. D'autant plus frustrant que le seul obstacle se situe dans les courants d'air de ma propre inconstance.
Et puis, déjà que je ne parviens pas à faire comprendre l'idée de cette année à certains de mes amis et que personne n'a non plus les raisons toutes entières (nombreuses et compliquées), quand je dois l'expliquer à des quasi-inconnus en trente secondes chrono, entre ça va très bien, et vous? et merci pour la compote, oui je passerai le bonjour à mes parents, ben forcément, je me trahie par des raccourcis vagues et des haussements d'épaules. Quelques sourires et un ou deux acquiescements plus tard, ils n'ont aucune idée du pourquoi du comment, évidemment.
Et pour finir sur une note très profonde, je ne trouve pas de gens pour aller à la fête de l'Huma, faute de motivation ou de sous, et ça craint beaucoup.
Mais c'est pas grave, c'est joli cette délicatesse clandestine et les questions allumées dans leurs yeux. Brillantes comme les guirlandes qu'on m'envoie enrouler aux colonnes.
C'est grâce à Marie-Aude Murail et ses histoires de yourtes mongoles que j'avais pisté Cendrars. Je connais plus le personnage que ses textes, captivant bourlingueur mutilé qui s'inventait des noms et des vies, errait des romans à la poésie en passant par le bout du monde. Marie-Aude Murail, celle qui m'avait dit "va où ton cœur te porte", et ça m'avait semblé important, à l'époque. Marie-Aude Murail, aussi, et surtout, le premier écrivain qui m'ait fait rire et pleurer à la fois.
Et même qu'Arsène, mon flic bancal, l'articulation de feu ma novella, celui qui roule en Harley ou Vespa -selon les jours, mais toujours avec side-car-, lit Nietzsche dans le texte, se déguise en enquêteur de série TV quand il ne s'endort pas en kimono dans le jardin, entretient des conversations existentielles avec son chat, est une groupie d'Odiseu -le meilleur groupe de Funk Psychédélique Roumaine et peut-être même de Funk Psychédélique tout court, selon lui-, délaisse son portable dans le frigo, et contemple la beauté de la forme adoptée par une flaque de sang sur le lieu du crime. Arsène, donc, se balade avec Feuilles de Route calé sous le bras pour toute investigation. Parce que Tu es plus belle que le ciel et la mer.
Mais pour l'instant, c'est encore aujourd'hui. Et aujourd'hui j'ai tiré mes premières balles, parce qu'il faut bien vivre toute l'authenticité de l'expérience Texane. Je n'ai jamais éprouvé de dégoût envers les armes elles-mêmes, je ne pense pas que le problème émane d'un morceau de métal froid en soi. Mais pas davantage de fascination morbide pour cette incarnation de puissance et violence. Et ce n'était même pas aussi 'impressionant' que j'aurais crû, c’était pas grand chose en fait. C'était juste absorbant, parce que le fracas environnant et la concentration sur la cible dérobent un peu tout l'espace à la pensée, et ça fait du bien d'être absorbé, parfois.
Aujourd'hui aussi, j'ai subtilisé une balle de golf à un terrain vague -en souvenir d'un vieux cadeau au fond d'un tiroir-, rencontré un oiseau juché sur un fil barbelé sur fond de ciel bleu, joué les funambules de béton peureux, et découvert qu’aller pieds nus sauvait des grenouilles. Aujourd'hui, je n'ai pas marché dans une fourmillière, je n'ai pas croisé de serpent obèse. Et je n'ai pas grillé de stops en tricycle non plus.
Mes
pieds nus et moi on s'acharne de toute façon, on ne se laisse pas
gâcher le moment, et on met de l'intention dans les enjambées, on
se déplace consciemment. C'est ce qui fait la beauté de ces
errances, ne pas marcher sans s'en rendre compte, ne pas marcher pour
aller quelque part, juste... marcher. Et puis l'air de la nuit, les
illuminations dans le ciel, le bruissement de l'obscurité, les ombres
isolées, la solitude avec l'univers.
La liberté incroyable sur
fond de goudron et encerclée par le vrombissement de
l'autoroute.
Chevaucher le béton apprivoisé, dévisager la lune pleine et dorée, avoir les yeux flous dans les nuages au-dessus, fermer les paupières
et continuer à voir les étoiles, étendre les bras pour feindre
l'équilibre sur l'aspirante-crête, dévaler la pente herbeuse le
visage fendu d'un sourire, laisse s'échapper quelques rires en
esquivant les attaques de jets d'eau, remuer les lèvres dans un
fredonnement oublié, s'abandonner à un peu de spontanéité, ne penser à rien et penser à tout en toute sérénité. Se sentir en vie, loin de
là où elle bat -son plein.
D'après J., ces excursions nocturnes me donnent un côté
encore plus “mystérieux”, et elle insiste. Et ça me fait rire,
parce que je suis difficilement énigmatique, en dépit des visions
romanesques avec lesquelles j'ai grandi. C'est juste que je partage
peu de moi, même quand je le fais, apparemment. Je ne sais pas
comment on fait je crois, ou je n'y arrive pas, ou peut-être que je ne me comprends
pas assez pour que d'autres puissent me décrypter, peu importe.
Je sais en revanche que j'ai détesté la lettre d'épanchement de T. qui suintait d'impudeur et s'adressait à quelqu'un qui n'était pas moi -je ne prétends pas savoir ce que je suis, seulement il existe des choses que je suis certaine de ne pas être. Il y a des gens dont je ne veux simplement pas connaître les tumultes intérieurs, même -surtout?- s'ils sont supposément flatteurs. Il y a des gens avec qui ça me fout terriblement mal à l'aise d'être confrontée à trop d'effusions.
Pour esquiver les justifications et les compte-rendus, je leur déballe des récits de luttes à mains nues contre les coyotes et évoque des fugues à destination de Washington, l'état, ou bien la mer. Je transforme le très joli très drôle passage des arrosages géants en une lutte épique, pour ne pas perdre sa poésie qui m’est propre. Je vais jusqu'à la fatigue de l'embarras pour être laissée en tête-à-tête avec mon instant.
(Je suis une fille-fouillis, pire encore que mon bureau. Mais comme quelqu'un de tellement remarquable que je n'ai aucun souvenir de son identite l'a dit -ou quelque chose dans le genre-, si un bureau en desordre est le symbole d'un esprit desordonne, alors que dire d'un bureau vide? Ah ah.)
C'est le cyclone dans mon cerveau, les idees tourbillonent a une vitesse folle et s'entrechoquent, sans but ni direction, sans ordre ni sens. Avec violence. Mais avec une violence douce-amere, presque tendre et maladroite. Je suppose qu'elle est un peu comme moi, elle a l'affection bancale. Je franchis des fosses synaptiques comme on joue a saute-moutons, sans relache, sans assurance, sans aboutissement, et le plus etonnant, c'est que je les compte meme pas la nuit, les moutons.
Je me vautre dans la serenite mais fatigue sans dynamique et m'endors sans meme avoir le temps de me raconter des histoires, de m'emmener voyager a l'autre bout de l'autre bout de la planete, de m'inventer de differentes jolies vies. Peut-etre que je n'en ai pas besoin pour le moment, comme je n'ai sans doute pas besoin de m'imaginer l'ete, l'annee prochaine, et la possibilite d'elle, ce qui n'empeche que je ne peux pas m'empecher de le faire. Avec des invasions d'obscure lucidite brutales, et puis un peu de lassitude en bouffees, que les quelques lettres en cicatrices qui s'erodent me forcent a affronter.
Le cadre reste assez beau, malgre tout.
Malgre les demandes de plans quinquennaux et de projets de vie bien etablis, parce que de toute facon, mon projet c'est juste de vivre, et ca me semble bien plus qu'assez. Je crois que c'est ce que je vais lui repondre, a defaut de mentionner le reste du programme, qui inclue aller nager au milieu des requins avec P., emigrer en Roumanie pour former mon propre groupe de Funk Psychedelique, me convertir a la vie de beach bum a Hawaii, faire le tour du monde du bout du pouce ou sur la plante des pieds, ne jamais vieillir, me faire enlever (a deux reprises), devenir une meduse, conduire un van de hippie avec mes lunettes d'aviateur. Je crois que c'est ce que je vais lui repondre, oui oui oui farpaitement, j'ai un projet pour l'annee prochaine, un graaand projet, tres noble. Ca tient en cinq lettres et ca s'epelle v-i-v-r-e.
(Et la, je viens de realiser que j'arrive a epeller plus facilement en Anglais dans ma tete, malgre la confusion, ce qui est vaguement flippant, enfin probablement pas beaucoup plus que de ne plus savoir comment prononcer correctement mon propre prenom)
Bon, d'accord, ca rentre dans la lignee de ma foutaise utopiste et j'ai pas le profil de mes idees. En plus, j'y crois a peine. Mais tant pis, on s'en fout, je m'en fous. Je tente de tenter quand meme. Et j'arrete de m'efforcer de faire comprendre a des gens a qui on ne peut pas expliquer. J'arrete d'essayer de justifier mes espoirs quand on me presse de les forcer dans le systeme de pensee auquel ils desirent precisement me faire echapper. J'arrete de me justifier, tout court. Tant pis tant mieux si ca leur fait un pied de nez casse et que ca les fait s'affoler a chercher ma vie a ma place. Merci, c'est bien gentil, mais elle me semble un peu plus proche.
Voyez, je pars d'un point Y(emen) pour arriver au Perou, sans passer par la case logique. Et me demandez pas pourquoi, les noms semblaient joliment lyriques, et puis je veux qu'on instaure les lamas de Noel en France aussi.
Je crois que j'avais originellement l'intention de parler d'un tas de trucs sans rien dire, genre citer des evenements aleatoires de ces derniers jours. Par exemple... Me retrouver inintentionnellement a aller voir Clash of the Titans toute seule avec mon (jeune) prof de Mythologie. Aller a mon premier match de Hockey qui semble un sport tres chouette meme si j'ai loupe quelque chose dans les regles, j'ai toujours pas enregistre pourquoi ils essayaient de se semi-taper dessus avec encouragements du public a chaque occasion. Se conformer pour la huitieme fois a la nouvelle tradition 'familiale' mensuelle de celebration du jour ou j'ai debarque a coups de cuillerees de brownie/glace/sauce-chocolat. S'assoir dans la nuit du jardin et se souvenir des jardins du passe -de froide nuit a la belle etoile, de gentleman anglais, de brulage de gorge. Participer a l'organisation d'une epique course de momies en classe. Regarder le printemps battre son plein dans les arbres depuis la fenetre de la douche. Avoir envie de se barrer en courant de la table du dejeuner en larguant au passage le fruit-mystere face un pic de stupidite effrayant -un joyeux melange de KKK, Obama, illuminatis, noirs qui ne veulent pas etre noirs, Bob Marley, et noirs qui n'aiment pas les blancs, a grands renforts de “j'ai entendu que...”. Apprendre en cours d'Histoire que Hitler etait un type tres mechant a cause de sa maman et que du coup il a tue plein de gens, et puis que Patton dirigeait les troupes qui combattaient en Amerique du Nord pendant la Seconde Guerre Mondiale, et aussi que l'invasion de la Normandie a marque le debut de l'operation 'Overload' -c'est fou comme je m'instruis dans ce cours, avec la radio Country couplee avec les posters motivationnels tres inspirants en bonus. Noircir des pages de mots inutiles qui tournent en boucle, juste au cas ou il y en aurait un que je voudrais ne pas oublier. Etc etc, et ainsi va la vie (Obladi, Oblada).
(Et quand j'atteins enfin un peu de spontaneite, qui commencait a sacrement manquer depuis le temps, j'atteins par la meme occasion le fond du gouffre, pourtant bien creuse, de l'intelligence)
(Et en plus, c'est meme pas tout a fait honnete, y a mensonge par omission, par omission du fait que c'est pas en colere que je suis, par exemple, et que quoi qu'il ait decrete, non, je ne lui dirai jamais dans quelle mesure je lui en veux encore, il manquerait plus que ca)Quoi qu'il en soit, on a tous ces moments-là, qui nous visitent de temps à autres et disparaissent sans jamais dire au revoir, généralement dans des situations cérébrales ou concrètes, ou les deux, différentes de l'ordinaire. Sauf que moi, ca fait maintenant huit mois que cette impression ne s'en va pas, ou ne rôde jamais très loin.
Au début, forcément, tout était si irréel, je crois que je pensais chaque jour que j'allais me réveiller dans mon lit d'un départ imaginé -aussi parce que tout avait l'air beau et brillant. Mais même maintenant que ce lit vacant est devenu le mien aussi, les événements, ou juste le déroulement de la vie quotidienne, persistent à m'apparaître plutôt flous. Comme si j'observais derrière un appareil photo mal réglé, sans toutefois me voir dans le paysage.
Je ne dis pas que je n'existe pas vraiment ici ou que je ne suis pas heureuse, parce qu'il me semble que ce serait mentir, la très grande majorité du temps.
Et puis c'est pas toujours comme ça non plus, il m'arrive de basculer abruptement de l'autre côté de l'objectif, dans un décor très net, même peut-être un peu trop -
C'est juste le ressenti général, et c'est assez agréable au fond. Facile, en tout cas. Juste difficile à saisir -
Ca peut juste être dérangeant quand ça
concerne les émotions logées au creux de ladite pompe à sang, vous savez,
la destination des palpitations de l'organe fourbe, tout ça tout ça.
Parce que je la suspecte, la direction, mais ne la connais pas, et à
8000 kilomètres de là, il se pourrait très bien que ce ne soit rien de plus qu’une
illusion accomodante. C'est tellement étrange de se sentir aussi
décroché de ses propres sentiments. Comme si j'avais oublié de foutre les miens
dans ma valise entre les T-shirts et la trousse de toilette avant de partir, et que du coup ils étaient restés coincés en
France. Avec la plupart des gens auxquels ils se rattachent.
C'est pas grave, bientôt je viens les récupérer pour les laisser à nouveau exploser, planqués dans ma cage osseuse. Et ça foutra un joyeux bordel dans la brume de la pellicule.
[Nouvelle bande-son à m'en scotcher des sourires idiots sur la tronche]
Je me suis levée à 17 heures aujourd'hui (enfin hier, techniquement, la confusion nocturne habituelle), mon record depuis que je suis ici, il me semble. D'habitude je ne dépasse pas 15 heures. Ca les fait rire, moi aussi du coup, et ça fait du bien après le sillage de nuits toujours trop courtes, mais quand même... Quand même, j'aime pas cette impression que la vie a défilé sans moi, que le monde a tourné trop vite pendant que je dormais, que j'ai perdu la journée en grande partie. Que j'ai perdu du temps, je suppose. Ce qui m'agace par la même occasion, puisque j'ai peu d'affection pour cette notion de gâchis et de rentabilisation.
(D'accord, il m'arrive aussi et pas si rarement d'éprouver un sentiment de gaspillage à chaque cours d'Histoire des U.S., par exemple, parce que le prof n'essaye pas d'en être un-, mais pas dans un même souci de productivité)
C'est à cause de cette période de sursis aussi... L'impression très vive pendant les week-ends ne se manifeste que peu quand les vacances s'étendent.
Et puis de toute façon, la perte est minime, le temps de la nuit sait souvent être plus beau. Les minutes qui s'écoulent différemment; la possibilité d'écouter la vie se taire autour, d’écouter le silence; les moments qui semblent un peu sacrés, qui nous confèrent cette relation spéciale avec le temps nous laissant penser que l'on profite d'instants précieux que les autres, ceux qui dorment là, dans le reste de la maison, et ailleurs, ratent; ce sentiment solitaire d'intimité et de complicité partagées avec les autres habitants de l'obscurité, les voix de l'autre côté de la radio qui grésille dans la pénombre, par exemple.
(L'année prochaine, j'aurai pas le temps de dire que je n'ai pas le temps, parce que j'aurai tout mon temps, et même peut-être un peu de celui des autres. Et ça, ça me donne le sourire, me redonne un peu de confiance en cette entité du temps par laquelle je me sens pourtant toujours trahie.)
Toujours plus vite.
Quand j'entends aux nouvelles le monde
vanter les prouesses de vélocité d'une nouvelle ligne de TGV, je me
demande pourquoi. Pourquoi se
réjouir de ces promesses de vitesse. Pourquoi c'est ça, la direction
du progrès. Pourquoi on a besoin de gagner du temps. Qu'est-ce que ça
nous apporte cette vie en accéléré? Il est où le temps de juste se poser au hasard, d'improviser, de flâner, parce que ? Cette course effrénée à l'utile et l'efficace me donne un peu la même impression que de regarder un film en vitesse rapide. Et franchement, l'absurdité, ca la fait marrer.
Au final, on perd son temps à essayer d'en gagner, parce qu'on ne se délecte plus des instants, et il n'y a que cela qui donne une raison d'être au passage du temps.
Les voyages en train, ca se déguste. Je veux pouvoir profiter du paysage qui défile derriere la fenêtre, des oscillations du wagon, laisser l'occasion aux vaches de nous regarder dans les yeux, sentir le temps s'étaler, se suspendre...
Toujours plus loin.
C'est marrant, parce que cette envie de partir loin, elle ne disparaît jamais vraiment, même quand on est déjà loin. Mais c'est où, Ailleurs, quand on a presque atteint le bout du monde? Et puis au fond, tout ce qu’on fait c’est balader les mêmes tumultes intérieurs d'un point à un autre, placer ses fêlures dans un nouveau décor, différent, un peu plus beau peut-être, mais qui ne colmate pas véritablement.