Je me suis levée à 17 heures aujourd'hui (enfin hier, techniquement, la confusion nocturne habituelle), mon record depuis que je suis ici, il me semble. D'habitude je ne dépasse pas 15 heures. Ca les fait rire, moi aussi du coup, et ça fait du bien après le sillage de nuits toujours trop courtes, mais quand même... Quand même, j'aime pas cette impression que la vie a défilé sans moi, que le monde a tourné trop vite pendant que je dormais, que j'ai perdu la journée en grande partie. Que j'ai perdu du temps, je suppose. Ce qui m'agace par la même occasion, puisque j'ai peu d'affection pour cette notion de gâchis et de rentabilisation.
(D'accord, il m'arrive aussi et pas si rarement d'éprouver un sentiment de gaspillage à chaque cours d'Histoire des U.S., par exemple, parce que le prof n'essaye pas d'en être un-, mais pas dans un même souci de productivité)
C'est à cause de cette période de sursis aussi... L'impression très vive pendant les week-ends ne se manifeste que peu quand les vacances s'étendent.
Et puis de toute façon, la perte est minime, le temps de la nuit sait souvent être plus beau. Les minutes qui s'écoulent différemment; la possibilité d'écouter la vie se taire autour, d’écouter le silence; les moments qui semblent un peu sacrés, qui nous confèrent cette relation spéciale avec le temps nous laissant penser que l'on profite d'instants précieux que les autres, ceux qui dorment là, dans le reste de la maison, et ailleurs, ratent; ce sentiment solitaire d'intimité et de complicité partagées avec les autres habitants de l'obscurité, les voix de l'autre côté de la radio qui grésille dans la pénombre, par exemple.
(L'année prochaine, j'aurai pas le temps de dire que je n'ai pas le temps, parce que j'aurai tout mon temps, et même peut-être un peu de celui des autres. Et ça, ça me donne le sourire, me redonne un peu de confiance en cette entité du temps par laquelle je me sens pourtant toujours trahie.)
Toujours plus vite.
Quand j'entends aux nouvelles le monde
vanter les prouesses de vélocité d'une nouvelle ligne de TGV, je me
demande pourquoi. Pourquoi se
réjouir de ces promesses de vitesse. Pourquoi c'est ça, la direction
du progrès. Pourquoi on a besoin de gagner du temps. Qu'est-ce que ça
nous apporte cette vie en accéléré? Il est où le temps de juste se poser au hasard, d'improviser, de flâner, parce que ? Cette course effrénée à l'utile et l'efficace me donne un peu la même impression que de regarder un film en vitesse rapide. Et franchement, l'absurdité, ca la fait marrer.
Au final, on perd son temps à essayer d'en gagner, parce qu'on ne se délecte plus des instants, et il n'y a que cela qui donne une raison d'être au passage du temps.
Les voyages en train, ca se déguste. Je veux pouvoir profiter du paysage qui défile derriere la fenêtre, des oscillations du wagon, laisser l'occasion aux vaches de nous regarder dans les yeux, sentir le temps s'étaler, se suspendre...
Toujours plus loin.
C'est marrant, parce que cette envie de partir loin, elle ne disparaît jamais vraiment, même quand on est déjà loin. Mais c'est où, Ailleurs, quand on a presque atteint le bout du monde? Et puis au fond, tout ce qu’on fait c’est balader les mêmes tumultes intérieurs d'un point à un autre, placer ses fêlures dans un nouveau décor, différent, un peu plus beau peut-être, mais qui ne colmate pas véritablement.Commentaires :
Re:
(7h de moins ici)
Allonger les nuits au détriment des jours, c'est vrai que ça a quelque chose de frustrant : on perd pied dans le quotidien au profit d'une bulle d'intimité nocturne à laquelle on s'habitue et à laquelle on a bien du mal à renoncer avec le temps. Mais c'est un moment privilégié infiniment précieux et beau par ses contrastes qui vaut bien qu'on lui sacrifie un peu d'existence sociale ...
Ta réflexion sur le TGV me rappelle la remarque d'un contrôleur qui m'a mis une amende pour avoir pris un train avec un billet du lendemain. Je lui ai dit que je regrettais le temps où on pouvait choisir son voyage au gré de ses envies et où des lignes moins stressées sillonnaient tranquillement la campagne pour faire escale dans une infinité de petites gares. Il m'a répondu que si j'avais le choix entre le TGV et cette ancienne ligne supprimée, je choisirais la vitesse comme tout le monde. J'étais assez consterné de cet a priori et je lui ai dit que j'appréciais parfois de prendre 4h au lieu d'1h, que je me sentais plus à l'aise de lire paisiblement un bon bouquin sur un trajet plus rustique si je n'étais pas pressé par un impératif. Je me réjouis de voir que d'autres apprécient ce temps de contemplation : un jour il ne restera plus que le train des andes pour les rêveurs du rail ...
Pour ce qui est d'aller toujours plus loin ou de chercher l'herbe plus verte, je crois que la réponse est dans ta réflexion : l'ailleurs est en soi, on ne le trouve que si on tire un trait sur certaines ombres de nos vies. C'est joliment dit dans le titre d'un livre non moins joli et léger de Christiane Singer "Où cours-tu ? Ne vois-tu pas que le ciel est toi ?". Nous avons tous en nous la possibilité infinie d'horizon à condition de trouver le chemin à travers toutes nos barrières ...
Merci pour cette réflexion dominicale qui se joint au soleil pour éclairer mon lundi matin :)
Re:
De ce point de vue-la, c'est en fait presque plus facile quand on n'a pas le choix, avec des insomnies par exemple, on n'a plus besoin de se preoccuper de l'impact diurne de la nuit etendue puisqu'on n'en decide pas. (Meme si on en subit evidemment toujours les resultats...) En effet, et puis il y a toujours un equilibre possible a atteindre...
Le prejuge est decevant, mais c'est au moins rassurant qu'il y ait des gens pour lui donner tort. Je ne connaissais pas ce train-la, ca fait rever... Il y en a d'autres de ce genre heureusement, par exemple le Transsiberien -qui me fascine beaucoup recemment- (et je viens aussi tout juste d'entendre parler du Train d'Ebene au Benin qui me parait etre dans un esprit similiare...)
Et pourtant, meme en realisant cela, le voyage conserve un charme particulier qui n'est pas completement independant de cette idee... J'ai jete un coup d'oeil au resume, ca a effectivement l'air d'un beau livre, et d'un bel argument. Ce qui est nettement plus dur que de sauter dans un train, ou meme une centaine...
Et merci pour ce commentaire qui donne a penser et repenser =)
stupidchick
(combien d'heures de décalage avec le France?)